Loin du feu, elle est mise à l'écart. Elle devrait avoir l'habitude, pourtant la petite trollesse soupire.
Elle regarde les siens commencer les préparatifs de la cérémonie faites aux esprits Loas des Marrassas.
La tristesse, si intense et profonde, parcours son regard d'or sans être remarqué par quiconque.
Elle aurait tant voulu participer comme les autres enfants.
Pour l'heure, ils gardent leur distance en se contentant de lui jeter quelques regards méprisants à l'occasion.
La petite s'assied sur le sol.
Observant les femmes peindre les visages des plus petits. D'énormes bêtes ont été chassées, elles grillent près des feux des joies. L'odeur est alléchante.
Le ventre de la gamine gargouille. Rien de tout ça ne lui est destiné.
La pauvre petite n'est pas ce qu'on peut appeler une beauté troll. Elle que les autres gosses appelle la Nehjo'ji. En langage des orcs, affreuse sorcière.
Ses défenses malgré son jeune âge ne se développent presque pas, laissant comme une légère canine blanche sortir discrètement de sa mâchoire.
Son visage, trop fin, serait pour les autres races telles que les elfes, qualifié de visage de poupée. Là où les autres petites trollesses seraient déjà bien musclé, la gamine arbore une silhouette chétive. Si bien que la petite, trop fragile, est incapable de se défendre.
Trop occupée à humer les parfums délicieux de la fête à venir et à en écouter les répétitions de tambours. Elle ne se rend pas compte des ombres sournoises se formant derrière son dos.
Lorsqu'un grand coup de bâton s'abat sur son épaule.
La petite couine de douleur. Les gosses ricanent et lui assènent encore quelques coups profitant de sa surprise pour la frapper au visage.
La Nehjo'ji ne crie même plus. Leur odieuse besogne effectuée, les enfants crachent sur l'intruse et partent en courant et en riant comme si de rien n'était.
Ils s'arrêtent devant les victuailles afin de grignoter en la narguant un peu plus.
Écrasée sur le sol, elle se redresse un peu en gémissant et essuie le sang coulant sous son nez d'un revers de la main.
Même la fête ne la sauvera pas des coups et moqueries. La gamine se lève et fuit vers la forêt.
Elle court le plus loin possible des habitations. Cours et cours encore, jusqu'à épuisement.
Haletante, elle s'arrête. La fraicheur et l'odeur de la forêt calme sa colère. Elle se laisse tomber au creux d'un arbre et éclate en sanglots.
Est-ce sa faute si aucune magie ne se manifeste dès qu'il est question de combattre ?
Si aucun talent pour la guerre ou la chasse ne se développe chez elle ? On dit pourtant que son sang possède une magie d'une force exceptionnelle.
Toutes ces différences font d'elle un souffre-douleur.
On murmure qu'elle ne serait peut-être pas si trolle qu'on le prétend.
Une batarde ? Personne ne le saura jamais.
On l'a trouvé dit-on. La petite n'a jamais pu expliquer d'où elle venait.
Le bébé est sorti de la jungle, comme une apparition surgissant de nulle part...
Seules les superstitions des adultes à propos de sa venue et de ses yeux d'or si peu commun ont évité la mort à l'enfant si différente.
Pour l'heure, blottit contre un arbre gigantesque aux lianes épaisses, elle continue de pleurer.
La pluie commence à s'abattre sur la forêt. Le bruit de l'eau qui ruisselle dans le feuillage la rassure. Le vent apporte à ses oreilles une chanson douce a peine audible. La trollesse n'a jamais su pourquoi, parfois dans la forêt, elle entend chanter à son oreille. Elle sait que cette voix est celle de sa mère. Elle garde le silence.
Ceci est son secret. Et si c'est pour qu'on la frappe encore plus, mieux vaut ne pas en parler. L'eau lave le sang sur son corps frêle. Elle se serre un peu plus contre le tronc de l'arbre en attendant que l'averse s'arrête.
Soudain, la pluie cesse, le lieu a l'air magique. La forêt tout entière semble briller sous la lumière du soleil tant les gouttes de pluie scintillent dans le feuillage. La mélodie a calmé le cœur de la petite fille.
Ses plaies semblent déjà cicatriser. Malgré, le fait que ses vêtements soit humide, elle s'installe dans le creux du tronc et parviens à s'endormir. Bercée par le bruissement du vent, la petite rêve.
Dans son esprit, elle marche vers une trollesse à la majesté intimidante. La femme est au bord d'une fontaine, fixant l'eau en fronçant les sourcils. Soudain, elle tourne son regard doré sur la petite. La femme couve l'enfant surprise des yeux.
"Shali'ji... Viens t'assoir près de moi."
La trollesse tapote la pierre a côté d'elle. La fillette se rapproche doucement et s'assied près d'elle avec méfiance. La dame tend les mains vers le petit visage de l'enfant qui lève les bras et se recroqueville pour se protéger d'un éventuel coup. Avec délicatesse, la femme prend l'enfant contre elle et la berce. Un chant monte alors aux oreilles de la petite. Elle lève les yeux reconnaissant la voix de sa mère, et reste stupéfaite en voyant la dame chanter.
"Pourquoi m'avoir appelé Shali'ji ?"
La trollesse encercle le visage de Shali de ces mains douces. Leurs regards dorés se croisent.
"Car c'est comme cela que nous t'appelons dans ce monde, ma chérie. Shali'ji, "Petite sorcière de vie", fille de Lukou Loa de la santé et de la restauration.
Lukou embrasse le front de sa fille et poursuit.
" La tribu n'est pas tendre avec toi mon enfant. Il ne va pas être facile de te faire une place dans ce monde..."
La loa réfléchit.
"Tu auras besoin de protection... Tu dois trouver ta voix et prendre la place qui est la tienne. Bientôt, je t'aiderai à sonder le cœur des peuples qui croiseront ton chemin. Mais les épreuves à venir seront difficiles pour toi, mon enfant."
Shali fixe celle qu'elle vient de découvrir comme sa mère avec incompréhension. Soudain, la fontaine derrière elle s'illumine. Des images prennent formes à sa surface. La femme les cache à la vue de Shali en se plaçant devant elle.
"Il est temps de partir Shali'ji"
Lukou regarde autour d'elle avec inquiétude et embrasse brièvement sa fille sur le front.
Une brume épaisse se forme au sol. Elle s'intensifie jusqu'a recouvrir les lieux. Shali commence à suffoquer et se réveille en sursaut.
Elle se relève avec difficulté se tenant à l'écorce de l'arbre auprès duquel, elle était allongée.
Elle vacille un peu tenant mal sur ses jambes. Ce rêve était si...réel. Shali secoue la tête chassant ces pensées de son esprit. Le soleil est bien haut dans le ciel, elle doit se dépêcher de rentrer si elle veut arriver, avant que les festivités ne commencent, au village.
L'enfant entreprend une longue marche à travers la jungle. Lorsqu'un bruissement dans les buissons la fait sursauter. Une énorme bête surgit devant elle, ses crocs acérés s'arrêtant à un millimètre de son visage, en balayant ses cheveux de son souffle rauque. La gamine n'ose plus respirer attendant sa fin. Aussi soudainement qu'elle est arrivé, la bête s'effondre avec fracas sur le sol. Shali ne bouge pas, se contentant de la regarder, sous le choc. Il s'agit d'une tigresse a la fourrure de blanche comme le jade pur. Sa taille est intimidante, même pour une femelle.
L'enfant penche doucement sa tête de côté et aperçoit le sang couler sur le flanc du fauve, tâchant son poil. La tigresse pousse un faible gémissement de douleur. La gamine pose sa main sur son propre cœur, attristée par le cri de souffrance du fauve désespéré.
Elle avance à petits pas vers l'animal et s'agenouille avec douceur près de la bête. La tigresse pousse un rugissement intimidant. Shali ne se préoccupe pas du cri et pose sa main sur la fourrure imprégnée de sang chaud. Elle relève la main de surprise en se sentant envahit par l'esprit de l'animal, comme happé par sa blessure. La bête tourne un regard tout aussi surpris vers la trollesse et pousse un faible soupire de souffrance. Shali repose avec douceur sa main sur l'animal. Sa paume se collant délicatement sur la plaie. Se sentant de nouveau attirée comme un aimant dans le corps de la bête. Shali ressent sa douleur. En tentant de calmer la panique et la souffrance de l'animal, l'enfant entend un chant lointain. Elle murmure le chant à l'esprit de la tigresse qui semble se détendre. La douleur disparait peu à peu.
Autour de la bête et de l'enfant, la forêt a l'air de prendre vie. Le plantes grimpent sur le corps de l'animal, comme attiré par la magie de l'enfant, et déversent un pollen soulageant lui aussi la douleur dans le corps du fauve. Quelques étincelles dorées fusent autour d'elles. La plaie se referme. Shali retrouve avec soulagement son corps, bien que se sentant étrange.
La grande tigresse se redresse d'un bond et observe l'enfant. Le temps reste comme suspendu. Les deux êtres se fixant étrangement.
La bête s'incline avec gratitude devant la petite qui salut de la tête à son tour.
" Il n'y a pas de quoi, ma belle."
La gamine sourit à la tigresse.
Un lien vient de se sceller entre les deux êtres. La bête lance un dernier regard à sa bienfaitrice et disparait d'un seul grand bond à travers les fourrés.
Shali se relève en se grattant la tempe qui la démange. Elle vient de se découvrir un don pour la guérison. La gamine est heureuse de s'être trouvé un but au sein de sa tribu. Bien que la rencontre avec l'animal lui paraisse toujours aussi étrange. Elle repart en direction du village en se retournant parfois, se demandant si le fauve pourrait la suivre. Le bruit des tambours se fait entendre au loin. La peau autour des yeux de Shali la tire, pleine de picotements étranges.
Shali aperçoit les lumières du village. La petite soupire de soulagement. Elle arrive à tant pour le commencement des festivités.
Ce soir, la nouvelle lune apporte le cycle des Marrassa, loas jumelles maîtresses de la Dualité, du Chaos et de l’Harmonie. La tradition veut que l'on effectue une série de duels sacrés, ainsi qu'une Cérémonie rituelle. Bien sur Shali n'a jamais gagné de duel contre les enfants du village, mais cette fois elle aura un espoir.
La tribu porte des masques vaudous aux couleurs criardes. Les chants sont sauvages accompagnés aux rythmes des tambours. Les trolls dansent atour des feux. Les Shamans ont commencé l'incantation des esprits.
Shali regarde tous ce beau monde s'activer les yeux brillants.
Soudain, le grand prêtre vaudou prend la parole.
Les chants et les danses cessent d'un coup, et un silence pesant s'installe.
Le sorcier prêtre va et viens en entamant le rituel d'invocation des esprits devant l'autel d'une voix rauque et pesante. S'arrêtant parfois, haussant la voix ou chuchotant, en transe. Il attrape un serpent qui frétille en ses doigts avec délicatesse... et lui tranche la tête d'un geste vif. Soudain, les braseros autour de l'arène des duels s'allument de grandes flammes venues de nulle part.
La prière du sorcier est exhaussée, les duels vont pouvoir commencer. Les trolls crient d'excitation. Les musiques reprennent. Les combats commencent dans l'arène.
Les plus jeunes sont appelés. Shali est rongée par la peur, se demandant bien si elle pourra s'en sortir. Elle regarde les duellistes tombant un a un dans la boue en rongeant ses ongles.
Puis on l’appelle. La petite trollesse entre dans l'arène baissant les oreilles face aux railleries. Elle se fait huer pour sa maigreur et son aspect faible.
Le chasseur des ombres organisant les combats demande le silence.
"Entrant dans l'arène, Ziltu'jan, fils de Di'jin chef de la tribu, et Nehjo'ji. Que la force des Marrassa vous aide dans votre combat. Puissiez-vous vous battre avec ruse et sauvagerie"
Le bruit du gong retentit.
Le jeune Zitu'jan fonce déjà sur Shali et lui envoie son poing dans la figure. La gamine tombe au sol étourdit. La colère s'empare de son cœur. Le môme lui envoie quelques coups violent coups de pieds dans les côtes. Shali suffoque et réalise que les démangeaisons sur son visage deviennent de plus en plus insupportables et brûlantes soudain... L'enfant lève le visage vers son adversaire. Le jeune troll pousse un cri de surprise. Dans l'assemblée, les trolls se lèvent et observe la scène en chuchotant.
"D'où viennent ses tatouages ?..."
"Ils n'étaient pas présent à son entrée ... ?"
Le regard plein de haine, Shali sent la chaleur l'envahir. Le brasier s’étend dans tout son corps. Elle hurle. Ses vêtements se déchirent, elle se transforme presque instantanément en une bête gigantesque. Elle ne se rend pas compte de ce qui lui arrive. Elle sent seulement la force, la puissance et la haine envahissant son corps. Elle bondit sur le troll et lui lacère le torse d'un grand coup de griffe. La douleur arrache un cri au troll et à la tigresse.
Shali se sent comme éventrée elle-même. Et comprend soudain qu'elle reçoit physiquement comme psychologiquement la souffrance du troll. Elle prend conscience de ce qu'elle vient de faire par colère et ploie sous la douleur. Le poitrail de la tigresse dégouline de sang. le troll se tiens un morceau de chair, a genou sur le sol, il se vide de son sang.
Les trolls descendent vers le centre de l'arène lui porter secours. D'autres attrapent leurs lances pour tenir le fauve a distance ou l'abattre.
Shali hurle sous les élancements de sa plaie. Elle prend tout juste conscience de la menace qui pèse sur ses épaules.
Si, elle ne réagit pas très vite, elle sera encerclée. La tribu crie sa haine et sa colère.
"Sorcière !"
" Monstre ! "
"Nous le savions ! Tu n'es pas digne d'être des n'autres"
Les trolls s'approchent, leurs regards bouillonnent de sauvagerie.
Shali fait un effort pour se redresser et bondit vers la sortie et esquivant le plus agilement qu'elle peut les assaillants sur son passage.
Elle sort du village en courant, fendant l'air, la mort aux trousses, malgré ses côtes dégoulinantes de sang.
Shali entre dans la jungle et continue sa course jusqu'au crépuscule. N'entendant plus ses poursuivant et espérant les avoir semé, elle s'effondre dans l'herbe fraiche. Elle s’endort d'épuisement se moquant bien de la douleur dans sa poitrine.
Le soleil commence tout juste à poindre à l'horizon que la tigresse Shali s'éveille.
L'affreuse douleur à son poitrail ne semble pas vouloir se refermer, malgré la régénération rapide des trolls.
Shali commence tout juste à comprendre ce qui lui arrive. Elle s'est transformée en l'animal qu'elle a sauvé... Comment a-t-elle bien pu faire... Elle réfléchit. Sa colère sous les coups, ce sentiment d'injustice... Ils en sont surement la cause. Ce doit être une faveur de Lukou...La fameuse protection ?... Mais dans quel but ... Si elle ne peut se défendre d'un ennemi sans s'en infliger la souffrance. La pauvre est un peu perdue. La question qui se pose est maintenant comment retrouver sa forme trolle.
Mieux vaut ne pas essayer tout de suite.
Ses blessures seraient plus dur a supporter en tant qu'enfant. De plus, Il lui sera plus facile de survivre en tant que fauve dans la jungle.
Elle le sait, c'est ici que commence sa vie d'errance. Il ne lui sera plus possible de rentrer au village pour prouver sa bonne foi. Malgré sa découverte, elle a failli tuer le fils du chef de la tribu et de toute façon elle n'a jamais été véritablement acceptée.
Il va lui falloir trouver des réponses en voyageant. Peut-être trouvera-t-elle sa place en ce monde. La tigresse se rappelle les paroles de Lukou...
"Tu dois trouver ta voix et prendre la place qui est la tienne. Bientôt, je t'aiderai à sonder le cœur des peuples qui croiseront ton chemin. Mais les épreuves à venir seront difficiles pour toi, mon enfant."
La tigresse soupire. Une fois remise, elle commencera son voyage.
